La greffe hépatique dans le cancer colorectal métastatique: mythe ou (future) réalité ?
DOVI-MET
Le cancer colorectal reste d’un pronostic réservé si il est associé à des métastases (50% des cas) et si celles-ci ne peuvent pas être réséquées à visée curative (seulement environ 15-20% des cas). Pour des raisons anatomo-physiologiques, les principales localisations métastatiques sont hépatiques : la position du « filtre hépatique» sur le réseau porto-mésentérique explique un arrêt mécanique, hématogène, des cellules tumorales dans le parenchyme hépatique. Cette particularité détermine un temps d’arrêt dans l’évolution de la maladie permettant de ne pas définir d’emblée comme systémique un cancer colo-rectal avec métastases hépatiques. La prise en charge chirurgicale concomitante ou séquentielle de la tumeur primitive et des lésions hépatiques permet donc d’envisager une rémission prolongée. Malgré l’évolution des traitements oncologiques combinés à des techniques d’hépatectomie avancée, certains patients restent pour des raisons d’atteinte diffuse du foie non résécables. La survie globale de ces patients non opérés restent faible (médiane inférieure à trois ans).
La greffe hépatique réalisant une hépatectomie totale n’est-elle pas envisageable chez ces patients ?
L’Oncologie de transplantation.
La greffe de foie fut historiquement initiée pour des indications extrêmement diverses y compris pour des tumeurs hépatiques très avancées. Entre 1977 et 1995, une cinquantaine de patients furent enregistrés dans le registre européen de transplantation pour métastases non résécables de cancer colorectal ; la survie inférieure à 20% à 5 ans conditionna un arrêt de la greffe pour cette indication. L’analyse des résultats montrait cependant une mortalité essentiellement d’origine non oncologique avec de surcroit des critères de sélections quasiment absents et un schéma d’immunosuppression lourd.
L’oncologie de transplantation nait réellement en 1996 avec les travaux du Pr Mazzaferro qui démontre un gain substantiel de survie des patients greffés pour cancer primitif hépatique par rapport à ceux réséqués. Il décrit une condition cirrhotique pré-cancéreuse définissant les lésions visualisées comme la partie émergente d’un iceberg tumoral intra-hépatique et valide la greffe comme meilleure option thérapeutique. Ces travaux ouvrent la voie de l’oncotransplantation du foie avec près de la moitié des greffes faites à l’heure actuelle pour des cancers hépato cellulaires sur cirrhose souvent bien compensées. Cette voie fut étendue à d’autre entité tumorale primitive (cholangiocarcinome et protocole Mayo) ou secondaire (tumeur neuro-endocrine) avec des résultats globalement intéressants.
La principale limitation dans l’extension des indications oncologiques à la greffe reste outre le risque opératoire et le coût sociétal, une pénurie globale d’organe cadavérique avec une mortalité en liste d’attente non négligeable. C’est donc logiquement que nos confrères scandinaves sous couvert d’une offre d’organe dépassant largement la demande, vont remettre en route le programme de greffe pour métastases de cancer colorectal. Une étude pilote réalisée en 2006 par le Pr Dueland à Oslo a oberservé une survie à 5 ans en greffe pour cette indication équivalente à la survie des patients avec métastases hépatiques réséqués par chirurgie conventionnelle.
Le protocole TRANSMET.
Inspiré de l’expérience norvégienne, le Professeur René Adam de l’hôpital Paul-Brousse à Paris, grand pionnier de la chirurgie hépatobiliaire du cancer colorectal, a initié une étude randomisée (chimiothérapie palliative seule versus chimiothérapie et greffe hépatique) évaluant la place de la transplantation hépatique dans les métastases colorectales..
L’UCL Saint Luc participe depuis peu à ce protocole avec une approbation toute récente par l’ensemble des centres de greffe hépatique belges. Les critères de sélection reste cependant très stricts avec nécessité d’approbation d’un collège international d’experts évaluant l’histoire oncologique du patient. La présence d’une mutation tumorale BRAF (V600E), ainsi qu’une maladie extra-hépatique sont à titre d’exemple des contre-indications à l’inclusion.
DOVI-MET
Les Cliniques Universitaires Saint-Luc sont depuis de nombreuses années pionnières dans la donation vivante hépatique : un adulte donnant une partie de son foie pour un enfant est une procédure réalisée de façon hebdomadaire par le Pr Reding et son équipe et le Pr Lerut fut un pionnier belge reconnu de la greffe d’adulte à adulte par don vivant. La capacité régénératrice du foie restant et du morceau greffé est une propriété connue de longue date permettant d’offrir cette technique chirurgicale aux patients.
La principale entrave à la donation vivante reste la problématique éthique liée à la réalisation d’un acte invasif chez une personne non malade. Cette considération est d’autant plus importante dans les donations du foie vu le risque opératoire lié à cette chirurgie. Le foie n’est de surcroit pas un organe symétrique facilement dissociable et l’analyse fine des différents réseaux vasculaires et biliaire doit être faite pour s’assurer d’un prélèvement de volume suffisant et muni de pédicules « connectables ». De nombreuses variations anatomiques existent et tous les foies ne sont pas conséquemment « dissociables »… Chaque donneur potentiel bénéficie d’une modélisation numérique tridimensionnelle de leur foie : l’anticipation est la clé de voûte de ces procédures complexes où l’erreur ne doit pas exister.
Mu par cette expérience et soutenu par notre équipe multidisciplinaire d’oncologie digestive, la procédure de don d’organe fut à plusieurs reprises entreprise dans notre centre pour des patients avec des métastases hépatiques bilobaires non opérables. Un protocole DOVI-MET (DOnation VIvante – METastases colorectales) va prochainement encadrer cette indication avec pour objectif la rémission complète et la survie prolongée des patients inclus. L’âme du projet est une pluridisciplinarité élargie impliquant l’ensemble des acteurs autour du patient : oncologues, hépatologues, radiologues, nucléaristes, pathologistes, généticiens, coordinateurs de transplantation et chirurgiens.
A l’instar du protocole TRANSMET, la sélection des patients reste essentielle et sera évaluée attentivement par une équipe multidisciplinaire sur base de l’histoire oncologique de chaque patient.
Par ailleurs, les raisons hémodynamiques rendent ces patients meilleurs candidats à une greffe de foie partiel que les patients avec une cirrhose sous-jacente. L’hyperpression portale parfois sévère chez le patient cirrhotique peut précipiter la perte du greffon. Les patients avec métastases ne sont par définition pas cirrhotique. Il est donc en corollaire possible d’envisager chez les donneurs un prélèvement de plus petit volume minimisant encore le risque encouru lors de la donation.
RAPID : une technique innovante !
L’équipe norvégienne a récemment combiné la transplantation hépatique à une technique de résection hépatique en deux temps : l’ALPPS (Associating Liver Partition and Portal vein ligation for Staged hepatectomy). La technique conceptualisée par le Pr Clavien permet des hépatectomie très élargie. Un premier temps chirurgical consiste à couper le foie en deux puis à lier l’alimentation veineuse de la partie condamnée ne laissant que le flux artériel. Un phénomène d’hypertrophie très rapide du petit reliquat hépatique permet dans les jours qui suivent de réintervenir pour enlever la partie principale malade. Ce procédé ne permettait malheureusement pas de traiter les patients avec des métastases dans tous les segments mais la substitution lors de la première intervention du petit foie normalement résiduel par un petit greffon le permet. Cette technique dite RAPID (Resection And Partial Liver Transplantation with Delayed total hetatectomy) semble prometteuse et autorise l’utilisation de greffons hépatiques beaucoup plus petits. Un prélèvement par donneur vivant d’un volume identique à celui nécessaire pour un enfant permettrait donc de remplacer un foie complet d’adulte. Cette technique nous permettrait d’encore minimiser l’impact et le risque pour le donneur.
La prise en charge thérapeutique de nos patients avec un cancer colorectal métastatique s’est considérablement améliorée au cours des dernières années et ouvre actuellement les portes à l’évaluation de la transplantation. La greffe pourrait à l’avenir donner un futur à ces patients souvent trop jeunes qui rentrent dans la maladie colorectale avec des métastases hépatiques diffuses et pour lesquelles une hépatectomie totale est la seule issue de rémission. Le contexte de pénurie d’organe cadavérique et les difficultés éthiques de la donation vivante imposent cependant la plus grande prudence dans l’implémentation de tels projets. La sélection pluridisciplinaire des receveurs à la lumière des techniques les plus modernes reste la pierre angulaire …
“Liver Transplantation is the only solid organ transplant with demonstrated efficacy in curing cancer”
Vincenzo Mazzaferro 2007