Le traitement du cancer de l’œsophage : une question d’expertise et de collaboration !

Foregut  Groupe FOREGUT, Institut Roi Albert II, Cliniques universitaires Saint-Luc

DESWYSEN Yannick, Chirurgie Oeso-gastrique ; DE CUYPER Astrid, Oncologie médicale ; VAN OOTEGHEM Geneviève, Radiothérapie oncologique ; DEPREZ Pierre, Hépato-gastro-entérologie ; DRAGEAN Cristina Anca, Radiologie ; DANO Hélène, Anatomopathologie ; THOMA Maximilien, Chirurgie Oeso-gastrique ; VAN DEN EYNDE Marc, Oncologie médicale.

Avec la collaboration des institutions partenaires : Clinique Saint-Jean (Bruxelles), Clinique de l’Europe (Bruxelles), Clinique Saint-Pierre (Ottignies), Clinique Notre-Dame de Grâce (Gosselies)

Le traitement optimal du cancer de l’œsophage requiert une coordination étroite entre de nombreuses disciplines médicales et paramédicales. Une approche personnalisée permet de mettre en place un traitement adapté à chaque patient, à chaque situation et à chaque tumeur. Ainsi, un traitement sur mesure est proposé selon le type de cancer de l’œsophage, sa localisation, son stade tumoral et l’état de santé global du patient. La stratégie thérapeutique est discutée en Concertation Multidisciplinaire Oncologique (CMO) dans un centre expert dans la prise en charge de ces cancers et fait appel à plusieurs traitements appliqués soit de manière isolée soit en combinaison (tableau 1). Cette prise en charge optimalisée du patient requiert une collaboration étroite des différents corps de métiers présents à l’Institut Roi Albert II des Cliniques universitaires St-Luc en collaboration avec les institutions partenaires du réseau ! 

La survie varie selon le stade du cancer de l’œsophage au moment du diagnostic. En Belgique, la survie à 5 ans, tous stades confondus, avoisine les 25%.  Plus le cancer est diagnostiqué tôt, meilleure est donc la survie.

La chirurgie : une question d’expertise !

On a souvent recours à la chirurgie pour traiter le cancer de l’œsophage. Elle permet d’enlever l’œsophage en partie ou en totalité ainsi que de réaliser dans le même temps, un curage ganglionnaire adéquat. La technique chirurgicale utilisée dépendra de la taille ainsi que de l’emplacement de la tumeur, de l’étendue de la résection à réaliser, mais aussi de l’état de santé global du patient

IRA II - cancer de l’œsophage
               Figure 1

Œsophagectomie 2 voies

 

Appelée aussi intervention de Lewis-Santy, elle est privilégiée pour des tumeurs situées au tiers moyen ou inférieur de l’œsophage. Elle consiste à réséquer une partie de l’œsophage et la partie haute de l’estomac par un double abord, abdominal et thoracique. L’anastomose est située dans le thorax. (Figure 1)

IRA II - cancer de l’œsophage
                         Figure 2

Œsophagectomie 3 voies

 

Elle consiste à retirer l’œsophage et la partie supérieure de l’estomac par un triple abord, abdominal, thoracique et cervical. Elle est souvent utilisée pour des tumeurs localisées au tiers supérieur ou moyen ou au niveau cervical de l’œsophage. L’anastomose est cervicale. (Figure 2)

 

 

 

 

 

 

 

Le rétablissement de la continuité est le plus souvent réalisé en utilisant l’estomac (gastroplastie). D’autres organes de remplacement peuvent être parfois utilisés comme le colon ou l’intestin grêle.

La morbidité de cette chirurgie reste élevée malgré les progrès notables de la prise en charge chirurgicale et périopératoire. Elle est de 30 à 50% et la mortalité postopératoire de 2 à 10 %. Les complications les plus fréquentes sont d’ordre respiratoire.

Récemment, l’introduction de la coelioscopie en chirurgie digestive a permis d’améliorer les douleurs postopératoires, la reprise d’autonomie et le temps de séjour hospitalier du patient. L’œsophagectomie mini-invasive (OMI) s’inscrit dans une volonté de réduire le stress et le traumatisme d’une chirurgie nécessitant des abords chirurgicaux multiples.  Cette approche est maintenant pratiquée depuis plusieurs années au sein des Cliniques universitaires Saint-Luc en débutant l’œsophagectomie par une gastrolyse (libération complète de l’estomac) coelioscopique qui permet de diminuer fortement les complications majeures, notamment respiratoires.

Une prise en charge générale péri-opératoire du patient, nommée ERAS (Enhanced Recovery After Surgery) est aussi proposée dans notre institution. Ce concept multimodal, peu développé pour la chirurgie œsophagienne, permet de diminuer l’impact du stress chirurgical et les complications postopératoires. Les éléments clés de l’ERAS consistent en une information préopératoire dédiée et renforcée (éducation thérapeutique), une préparation à la chirurgie (concept de « préhabilitation »), une antalgie post-opératoire optimale visant une épargne morphinique, une mobilisation précoce et accrue, et enfin un soutien nutritionnel adéquat.

Préhabilitation

Outre les mesures de récupération postopératoire, nous proposons un programme de préparation à la chirurgie appelé « préhabilitation » qui se base sur 3 piliers :

  • l’amélioration des capacités fonctionnelles musculaire et respiratoire par des exercices surveillés
  • la prise en charge de l’état nutritionnel du patient et
  • la gestion de l’anxiété préopératoire. Les résultats préliminaires, très encourageants, nous permettent de faire partie des pionniers de la préhabilitation dans la prise en charge du cancer de l’œsophage.

Le cancer à un stade précoce : le choix de l’endoscopie

ira ii
                 Figure 3

Les techniques de résection endoscopiques permettent un traitement peu invasif et curatif pour les lésions tumorales superficielles. Développées au Japon, la dissection endoscopique sous muqueuse (ESD) consiste, après avoir bien caractérisé la tumeur, à pratiquer une incision sur tout son pourtour, de la surélever par rapport au muscle sous-jacent et de la réséquer méticuleusement en une seule pièce pour une évaluation pathologique précise. (Figure 3)
Ces techniques de résection sont complétées de méthodes d’ablation de la muqueuse de Barrett par radiofréquence (RFA). Notre centre fait partie des équipes expertes en Belgique offrant cette technique efficace avec peu d’effets secondaires.

Figure 3 : Résection en bloc par ESD (dissection sous-muqueuse) d'un adénocarcinome sur œsophage de Barrett stadifié pT1sm1, G1-2, LV-, R0, considérée comme une résection endoscopique curative.

Les traitements (néo)-adjuvants, périopératoire ou exclusifs : une arme complémentaire à la chirurgie

Dès son diagnostic, un cancer de l’œsophage peut être associé à une infiltration en profondeur de la paroi de l’œsophage (>= cT3) et/ou à une atteinte des ganglions de voisinage. Ces tumeurs, localement avancées, requièrent un traitement préopératoire (« néo-adjuvant ») par radiothérapie et chimiothérapie. La radio-chimiothérapie néo-adjuvante, ciblant la tumeur et les ganglions de voisinage, améliore les résultats de la chirurgie et la survie des patients.
Les techniques modernes de radiothérapie permettent aujourd’hui de sculpter très précisément la dose autour d’une tumeur, tenant compte du mouvement induit par la respiration et réduisant ainsi les effets secondaires par atteinte des organes de voisinages. Ces techniques sont toutes utilisées quotidiennement dans le service de radiothérapie de notre institution, et garantissent la qualité, l’efficacité et la bonne tolérance au traitement.
La radio-chimiothérapie préopératoire est en général étalée sur 5 semaines et la chirurgie est dès lors réalisée 6-8 semaines après la fin de ce traitement.
Lorsque la chirurgie est impossible soit pour des raisons oncologiques soit parce que le patient présente trop de comorbidités, une radio-chimiothérapie exclusive (càd sans chirurgie) est proposée dans un but curatif. Celle-ci est alors intensifiée : les doses de radiothérapie seront plus élevées et la chimiothérapie sera administrée pendant et après la radiothérapie.
Dans les adénocarcinomes du cardia localisé exclusivement à la cavité abdominale et sans extension thoracique (tumeur Siewert de type 3), la radiothérapie n’est pas indiquée. Une chimiothérapie seule, encadrant la chirurgie, est alors proposée pour améliorer les résultats de la chirurgie et le pronostic du patient.

Les traitements oncologiques en situation métastatique : un contrôle nécessaire de la maladie

En présence de métastases à distance, une chimiothérapie seule ou combinée à une thérapie ciblant une anomalie moléculaire ou de l’environnement tumoral est proposée au patient.  Ces traitements ont pour objectif de contrôler les symptômes liés au cancer et la progression de la tumeur, permettant ainsi une survie prolongée du patient tout en maintenant sa qualité de vie.

Grâce à la recherche clinique contre le cancer, de nouveaux traitements ont été découverts, tels que l’immunothérapie et des thérapies ciblant des anomalies moléculaires très spécifiques au cancer. Ces traitements personnalisés et administrés dans des indications sélectionnées, donnent aujourd’hui un réel espoir de survie prolongée aux patients en préservant leur qualité de vie. Notre institution est très active dans la recherche contre ce cancer et participe à de nombreux protocoles de recherche évaluant de nouveaux traitements.

Accréditation et collaboration

Soucieux d’améliorer la prise en charge des patients atteints d’un cancer de l’œsophage, l’INAMI a proposé une centralisation dans les hôpitaux disposant d’une expertise suffisante pour traiter ces cancers.
Depuis le 1er juillet 2019, seuls les hôpitaux pratiquants au moins 20 opérations de cancer de l’œsophage par an sont reconnus comme centres spécialisés et autorisés à réaliser cette chirurgie complexe. En Belgique, 10 centres ont obtenu cet agrément, parmi lesquels les Cliniques universitaires Saint-Luc.
Ces interventions chirurgicales complexes et de haute technicité sont ainsi pratiquées dans un environnement adapté où l’expertise de notre équipe est reconnue. La reconnaissance de notre équipe nous permet ainsi de poursuivre et développer une prise en charge chirurgicale et globale de qualité des cancers de l’œsophage. Celle-ci n’est possible que grâce à des soins multidisciplinaires et complexes qui reposent sur des interactions étroites et une implication majeure des différents acteurs médicaux et paramédicaux des Cliniques universitaires St-Luc et des institutions partenaires de notre réseau.

Références

1) Mariette C, Piessen G, Triboulet J-P. Therapeutic strategies in oesophageal carcinoma: role of surgery and other modalities. Lancet Oncol 2007;8:545-53.
2) Mariette C, Markar SR, Dabakuyo-Yonli TS, et al. Hybrid minimally invasive esophagectomy for esophageal cancer, N England J Med, 2019; 380:152-162
3) Chevaux JB, Piessevaux H, Jouret-Mourin A, et al. Clinical outcome in patients treated with endoscopic submucosal dissection for superficial Barrett's neoplasia. Endoscopy 2015, 47:103-112
4) Pimentel-Nunes P, Pioche M, Deprez PH, et al. Curriculum for endoscopic submucosal dissection training in Europe: European Society of Gastrointestinal Endoscopy (ESGE) Position Statement. Endoscopy. 2019, 51:980-992
5) Shapiro J, van Lanschot JJB, Hulshof M, van Hagen P, van Berge Henegouwen MI, Wijnhoven BPL, et al. Neoadjuvant chemoradiotherapy plus surgery versus surgery alone for oesophageal or junctional cancer (CROSS): long-term results of a randomised controlled trial. Lancet Oncol. 2015;16:1090-8.
6) Al-Batran SE, Pauligk C, Homann N, Schmalenberg H, Kopp HG, Haag GM, et al. Docetaxel, oxaliplatin, and fluorouracil/leucovorin (FLOT) versus epirubicin, cisplatin, and fluorouracil or capecitabine (ECF/ECX) as perioperative treatment of resectable gastric or gastro-esophageal junction adenocarcinoma: The multicenter, randomized phase 3 FLOT4 trial (German Gastric Group at AIO). Ann Oncol. 2017;28 Suppl 3:iii152-iii3.
7) Lordick et al. Oesophageal cancer: ESMO Clinical Practice Guidelines for diagnosis, treatment and follow-up. Annals of Oncology 27 (Supplement 5): v50–v57, 2016